Ron Howard se frotte a Lovecraft ?
Parmi les auteurs les plus marquants du siècle dernier, H.P. Lovecraft compte comme l'un des cas les plus passionnants, exemple type de l'écrivain torturé ne vivant que par et pour son art, à la fois polémique, critiquable et absolument génial. Si génial d'ailleurs qu'il inventa à l'époque une forme d'horreur totalement inédite, polymorphe, référant aussi bien au monstrueux, au mysticisme ou encore à la science-fiction, dans une démesure faisant de ses Grands Anciens et leurs suppôts une mythologie aussi impressionnante que grandiose. Il est ainsi très étonnant de constater avec quelle timidité la machine hollywoodienne, pourtant d'ordinaire friande de sources d'inspiration, s'est intéressée à tout ce pan de la culture fantastico-horrifique, ne l'approchant qu'en quelques occasions plus ou moins concluantes et déguisées (l'énorme L'Antre de la folie, Necronomicon, pas mal de films de Stuart Gordon et Brian Yuzna, Hellboy qui perpétue ainsi la fascination du dessinateur Mike Mignola pour l'oeuvre de l'écrivain, The Mist,...).
C'est pourquoi, à chaque fois qu'un projet se promet d'approcher l'oeuvre de Lovecraft, on ne peut s'empêcher de saliver d'avance en pensant au plaisir que l'on a d'être confronté à l'Innommable, l'Insondable, le Maudit. Et si Les Montagnes Hallucinées selon Guillermo del Toro a longtemps semblé être le projet qui nous satisferait de la sorte, en tout cas jusqu'à ce qu'un hobbit vienne mettre ses pieds poilus en travers et repousser la chose à une date non-définie, un nouveau long-métrage dans les starting blocks hollywoodiens vient ranimer notre croyance en des divinités monstrueuses terrées aux quatre coins de l'Espace et du Temps.
En effet, les studios Universal et Imagine Entertainment viennent ainsi d'acquérir les droits de The Strange Adventures of H.P. Lovecraft, un comic-book en quatre parties scénarisé par Mac Carter (lequel, en plus du poste de producteur, se chargera aussi de rédiger le script de l'adaptation ciné), dessiné par Tony Salmons et mis en couleurs par Adam Byrne (producteur également). Publié aux Etats-Unis chez Images Comics dès le mois d'avril qui vient, celui-ci ne consistera donc pas en une véritable adaptation des écrits de l'auteur mais plutôt en une sorte de révision romanesque de sa vie, s'articulant autour d'une croyance selon laquelle Lovecraft avait foi pour de bon dans ce qu'il écrivait. Que les Grands Anciens étaient autre chose que le fruit de son imagination, ce dont il nous faisait presque douter par le talent de son écriture.
L'histoire prendra ainsi place au début du 20ème siècle et aura pour héros Howard Philips Lovecraft, un auteur brillant à l'existence conflictuelle et très solitaire, luttant contre sa nature introvertie et ses névroses pour conquérir le coeur de la belle Sylvia qu'il aime depuis l'enfance. Mais quand sa route croise celle du Necronomicon, un livre maudit dont l'apparition se perd dans les âges les plus sombres de l'Humanité, il devient la victime d'une terrible malédiction faisant que ses pires cauchemars s'incarnent dans la réalité. Bien malgré lui, l'écrivain est donc devenu à la fois un Dieu de destruction et le seul à pouvoir combattre le Mal qu'il a libéré sur le monde...
A en juger par les premiers visuels de la bande-dessinée et ce résumé, The Strange Adventures of H.P. Lovecraft devrait donc s'orienter vers une histoire pleine d'horreur et d'action (combat au revolver et au sabre contre entités monstrueuses ? On achète !), finalement assez loin de la triste vérité qu'était la vie de Lovecraft. De même, certains des aspects les plus sombres de sa personnalité devraient être tus comme par exemple sa misanthropie inébranlable, qui avait parfois tendance à s'exprimer sous la forme d'un racisme assez évident (peu présent dans ses fictions, cet aspect de sa personnalité est plus évident dans l'énorme correspondance qu'il entretint durant sa vie, avec au moins 80000 courriers répertoriés qui furent pendant longtemps sa principale relation au monde extérieur). Ce qui n'est finalement pas plus mal : autant garder cela pour un véritable biopic sur l'écrivain, monstrueux sujet que personne n'a jamais encore approché comme il se devrait au cinéma, et profiter au contraire de ce projet d'adaptation pour nous offrir une des plus belles illustrations cinématographiques de sa mythologie. Mais alors, quel réalisateur pour donner vie à ce long-métrage riche d'un bestiaire si terrifiant ?
Et c'est là que les choses coincent un peu puisque, si nous aurions tout de suite pensé à Guillermo del Toro ou John Carpenter (qui aurait alors fait là une sorte de L'Antre de la folie selon le point de vue de Sutter Cane), il semblerait bien que le réalisateur pressenti pour s'installer aux commandes de ce The Strange Adventures of H.P. Lovecraft ne soit autre que Ron Howard, également producteur au travers de sa société Imagine Entertainment ! Loin de nous alors l'idée de remettre en cause ses qualités de metteur en scène, il a même réalisé nombre d'excellents films, mais il ne paraît en fait absolument pas avoir de prédisposition pour s'intégrer dans un tel univers et lui conférer toute l'horreur nécessaire. Après, il est évident que nous ne sommes jamais à l'abri d'une bonne surprise, mais il est également sûr que l'on pourrait confier le bébé entre des mains plus rassurantes. Rien n'est encore fait cependant, Howard devant pour l'instant se lancer dans la promotion de son Anges et Démons (en salles le 13 mai prochain), mais il est vrai qu'il ne possède pour l'instant aucun autre projet en vue et pourrait donc s'attacher à celui-ci. D'autant que nous lui connaissons une propension certaine à toujours vouloir s'essayer à de nouvelles choses, se lancer de nouveaux défis, et The Strange Adventures of H.P. Lovecraft en constituerait un sacré pour lui. Alors, osera ou n'osera pas ? Voilà en tout cas une affaire que l'on va suivre de près !